Le chemin que j’ai choisi
Je voulais être indépendante. Depuis toujours. Peu importent les obstacles qui se sont dressés sur ma route, je suis restée fidèle à mes convictions, sans jamais renoncer.
Je suis née un 23 avril, dans le village de l’Entre-Deux, sur l’île de La Réunion, au cœur d’un écrin volcanique où les montagnes serrent le ciel de très près. Nous étions une famille de cultivateurs, habitués aux levers de soleil sur les champs encore humides et aux couchers de lumière sur les ravines. La vie y était simple, rude parfois, mais profondément paisible. Jusqu’au jour où un ouragan emporta nos terres, nos bêtes, notre quotidien – tout ce que nous avions construit génération après génération. Il fallut tout recommencer, à mains nues, avec pour seule richesse notre courage.
J’ai alors décidé de faire de cette catastrophe une chance, une porte ouverte vers un ailleurs qui m’appelait depuis longtemps. Ce fut ainsi que je pris la décision de quitter mon île pour la métropole, là où, disait-on, le travail ne manquait pas. Un arrachement, un vertige, mais aussi la promesse d’un nouveau départ. Lorsque j’arrivai à Paris, l’hiver 1966 déployait ses vents froids et sa pluie serrée. Le choc fut rude : la capitale, ses immeubles gris, ses visages pressés, son ciel sans horizon… tout me semblait étranger, irréel, presque hostile.
Pourtant, après quelques semaines, je m’y suis sentie chez moi, comme si la ville avait fini par m’adopter. J’ai trouvé une place de garde-malade chez les sœurs, puis je suis devenue femme de ménage dans une boulangerie du 16e arrondissement, avant d’être engagée au service de la Comtesse de J., rue de la Muette. J’y ai exercé comme employée de maison de 1969 à 1985. Chez nous, à La Réunion, se plaindre est un luxe : on avance, coûte que coûte. Alors j’ai avancé.
Une amitié inattendue
Au fil du temps, la Comtesse et moi avons tissé des liens d’amitié que ni les années ni les différences sociales n’ont pu défaire. Elle était une femme d’une profonde humanité. Elle m’a toujours traitée avec respect, et même tendu la main lorsque j’en ai eu besoin, après mon accident à la hanche. Elle me faisait souvent des confidences, racontant de sa voix douce les secrets de la maison, comme l’histoire de cette gouvernante congédiée pour une liaison scandaleuse avec le fils aîné. Nous en riions ensemble, complices, comme deux femmes du même monde malgré tout ce qui nous séparait.
Chaque été, je la suivais à Deauville, dans la maison de ses beaux-parents. Le matin, je travaillais ; l’après-midi, j’avais quartier libre. Je passais alors des heures à marcher le long de la plage, à explorer les ruelles, à observer les silhouettes colorées des parasols, les chevaux sur l’hippodrome, les villas endormies sous le soleil normand. Je n’avais plus l’impression d’être au service de quiconque : je me sentais simplement vivante. Vivante, et surtout libre — comme si chaque souffle d’air marin venait me rappeler que j’avais eu raison de choisir ma route.