Boule de poils

Cueillir un instant de vie

« Tu m’as rencontrée sans surprise, non sans bonheur ». Colette

Deux grandes billes couleur grenat tsavorite, cerclées de turquoise. Des yeux en amande au pouvoir hypnotisant. Tu ne m’as laissé aucune chance : dès que j’ai croisé ton regard, ma féline, j’ai su que tu allais désormais faire partie de ma vie. Et que, malgré tes quelques centimètres, tu allais m’en faire voir de toutes les couleurs.

Tu as déboulé telle une tornade flamboyante par un après-midi ensoleillé. Nous étions au début de l’été et la chaleur invitait à la rêverie. L’apathie, très peu pour toi. Toute espiègle et téméraire que tu étais déjà, tu préférais mille fois t’aventurer hors de ton panier plutôt que jouer la paresse ou de feindre la timidité. Héloïse nous avait quittées à peine quatre mois plus tôt, après dix-sept ans de vie commune. Plus de la moitié de ma vie. J’étais encore en deuil et n’étais pas prête à t’accueillir. Du moins le pensais-je. Tu te souviens ?

Tu étais pourtant si mignonne, petite mutine à la robe écaille de tortue, avec cette grande tache blonde au-dessus de ta tête qui se fondait sur ta fourrure tel un coucher de soleil. Ton adorable frimousse te donnait des airs de yin et de yang : tigré sur la face droite, la gauche couleur ébène. Pas plus grande que ma main, tu attirais les câlins. Une idée folle quand on connaît ton caractère tempétueux. Car pour t’approcher, il fallait d’abord t’apprivoiser !

Ton obsession était de parcourir de nouvelles contrées aux mille recoins sinueux, promesses de grandes aventures. Des terrains de jeu infinis à explorer, toutes griffes et quenottes dehors, pour le chaton casse-cou et bagarreur que je découvrais. D’ailleurs, je porte toujours les marques de notre première rencontre à mon poignet gauche…

J’ai donc dû t’apprendre quelques règles de convivialité : ne pas mordre, faire patte de velours, renoncer aux massages capillaires improvisés sur ma pauvre tête au milieu de la nuit, et éviter la rambarde traîtresse du balcon. La tête de mule que tu es aura tout de même récidivé dans la bêtise à moult reprises, m’infligeant à chaque chute une inquiétude teintée de colère, de culpabilité… et de honte aussi. Improviser une chasse au trésor nocturne en chemise de nuit, lampe de poche dans une main, sac de croquettes dans l’autre, et vociférer ton nom d’une voix éraillée devant des voisins éberlués n’est pas ce qu’il y a de mieux pour l’égo. Crois-moi.

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